Une peinture qui peut se regarder dans quatre sens

Balade dans le bleu – technique mixte sur toile 130 x 90 – 2020 © corinne leforestier
Quelle balade préférez-vous ?
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Une peinture qui peut se regarder dans quatre sens
Balade dans le bleu – technique mixte sur toile 130 x 90 – 2020 © corinne leforestier
Quelle balade préférez-vous ?
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Cet été, j’ai eu peu de temps à consacrer à la création. Nous avons en effet aménagé une deuxième petite maison à Chaudon nous permettant d’accueillir plus aisément et m’offrant la possibilité de présenter plus facilement mon travail artistique. L’atelier fut donc en « déménagement ».
Pour ne pas perdre la main et l’oeil, je me suis astreinte (avec beaucoup de plaisir) à faire ces « dessins de l’aube ». Lorsque les contours sont encore imprécis, l’on peut aisément saisir l’ensemble, l’atmosphère, sans se perdre dans les détails. Le jour se lève vite et en commençant l’exercice lorsqu’il fait encore presque nuit, il y a le temps de s’absorber dans le paysage contemplé et ainsi tenter de rester dans l’essence-ciel.
Tous les dessins sont réalisés sur un papier 160g – 42 cm x 59 cm
Pour vous mettre dans l’ambiance, voici un son capté lors de l’une des premières matinées.
Ci-dessous, le frêne souvent dessiné
Pour finir, un extrait lu ce matin dans « pied nu dans l’aube » de Félix Leclerc.
Nous croyions aux gnomes qui soufflent de la brume, aux génies qui changent les jeunes filles en fruits, à la musique qui, comme le dimanche, a pour mission de reposer, d’élever. Souvent, le matin, nous nous passions la tête derrière la toile pour surprendre celui qui mettait des gouttes de rosée sur les feuilles de choux. Je couchais sous une fenêtre pour avoir le dernier le bonsoir de la lune, pour avoir le premier le salut du soleil.
bon réveil !
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Une nouvelle peinture pour temps incertains
Pluie orageuse – technique mixte sur toile 90 x 70 – 2020 © Corinne Leforestier
Fait-elle écho à ce texte de André Du Bouchet ?
Fleurs
Pas plus haut,
où elles s’arrêtent, ces eaux
bleues ! Que le premier escarpement des fleur tout à coup transpirant dans l’air froid,
et aussi rude.
Mais le baiser, venu
par les fonds raboteux, où, poussiéreuse brassée, je disparais dans le jour qui attend le soleil.
Qu’elles ne l’arrêtent pas, la façade
sera rendue, elle, aux pierres.
Parmi les fleurs, encore, ceinturée par la chaleur
du nuage, puis par le vent, au cœur des routes,
le nuage ! Se heurtant à
ce qui a fleuri.
S’il faut, pour qu’elles grandissent, avoir
croulé
jusqu’au bleu,
la sauge,
à quelque route.
Plus tard, comme le pas,
la nuit, les voit, leurs faces maintenant tendues,
linge dans l’air ras !
André du Bouchet – ou le soleil – poésie / Gallimard p 145
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Entrons dans ce nouvel été, avec quelques photos de la peinture sur rocher « les miroitants » réalisée dans le ravin au merle en 2019, et une page de Nan Sheperd tirée du livre « Dans la montagne vivante » (Christian Bourgois)
Pourquoi certains blocs de pierre, taillés en formes violentes et torturées, tranquillisent à ce point l’esprit, je l’ignore. Peut-être l’œil impose-t-il son propre rythme à ce qui n’est que confusion. Il faut regarder de manière créative pour voir en cette masse de rochers autre chose que des saillies et des sommets – la beauté. Sinon pourquoi depuis tant de siècles les hommes se sentent-ils rebutés par la montagne ? C’est un certain genre de conscience qui interagit avec les formes de la montagne pour créer ce sens de la beauté. Pourtant les formes doivent être là pour que l’œil les voie. Et des formes d’une certaine distinction : de simples mottes ne feraient pas l’affaire. Il s’agit, comme pour toute création, de matière imprégnée d’esprit. Mais le résultat est un esprit vivant, une lueur dans la conscience, qui périt avec la lumière. C’est quelque chose d’arraché au non-être, cette ombre qui glisse sur nous sans cesse et qui peut être tenue à distance par un acte créatif continuel. Ainsi, regarder simplement quelque chose, comme une montagne, avec l’amour qui pénètre son essence, c’est étendre le domaine de l’être dans l’immensité du non-être. L’homme n’a pas d’autre raison d’exister.
Pratiquer la peinture sur rocher donne à ressentir une altérité. Cela me permet de désapprendre les automatismes du regard et des gestes du peintre qui se font parfois « mécaniques ». C’est comme une renaissance, une régénérescence des émerveillements.
Le rocher avec ses surfaces multiples, accidentées, animées, pleines d’obstacles inattendus, incite, invite à la découverte, à l’exploration. Je pratique cette peinture au pinceau ou à main nue pour vivre le toucher.
C’est un jeu jubilatoire qui s’accompagne parfois du piaillement d’une volée de mésanges curieuses… Et lorsque rocher et peintre ont les pieds dans le ruisseau : des pépites de joie en perspectives variées !
Un bel été à vous.
Le printemps est là. Il m’a inspiré une nouvelle peinture.
Printemps, ici, ailleurs – technique mixte sur toile 130 x 90 – 2020 © Corinne Leforestier
En ces temps arrêtés, partager un texte de Paul Eluard
Ailleurs ici partout
[…]
Là je vois de près et de loin
Là je m’élance dans l’espace
Le jour la nuit sont mes tremplins
Là je reviens du monde entier
Pour rebondir vers chaque chose
Vers chaque instant et vers toujours
Et je retrouve mes semblablesJe parle d’un temps délivré
Des fossoyeurs de la raison
Je parle de la liberté
Qui finira par nous convaincre
Nul n’aura peur du lendemain
L’espoir ne fait pas de poussière
Rien ne sera jamais en vainJe cherche à me créer une épreuve plus dure
Qu’imaginer ce monde tel qu’il pourrait être
Je voudrais m’assurer du concret dans le temps
Partir d’ici et de partout pour ailleursOuvrir vraiment à l’homme une porte plus grande
[…]Paul Eluard – Poésie ininterrompue – Œuvre poétique VI
Éditions du club de l’honnête homme p 180
En vous souhaitant un beau printemps à rêver les créations à venir.
Dans cette édition, ce poème est précédé d’une citation de Diderot :
Il y a quelque adresse à avoir mis mes idées dans la bouche d’un homme qui rêve: il faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie, afin de lui procurer ses entrées; j’aime mieux qu’on dise: « Mais cela n’est pas si insensé qu’on croirait bien »,
que de dire : « Écoutez-moi, voici des choses très-sages. »Diderot – lettre à Sophie Volland
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Les premières neiges sont là, elles m’ont inspiré une nouvelle peinture.
Premières neiges – technique mixte sur toile 146 x 114 – 2019 – © Corinne Leforestier
Et dans le tumulte silencieux résonne un poème de Supervielle
Descente de Géants
Montagnes derrière, montagnes devant
Batailles rangées d’ombres, de lumières,
L’univers est là qui enfle le dos,
Et nous, si chétifs entre nos paupières,
Et nos cœurs toujours en sang sous la peau.Faut-il que pour nous brûlent tant d’étoiles
Et que tant de pluie arrive du ciel,
Et que tant de jours sèchent au soleil
Quand un peu de vent éteint notre voix,
Nous couchant le long de nos os dociles ?Viendront les géants tombés d’autres mondes,
Ils enjamberont les monts, les marées,
Et vérifieront si la terre est ronde,
Par dérision, de leurs grosses mains,
Ou bien, reculant, de leurs yeux sans bords.Jules Supervielle – La fable du monde
Poésie Gallimard Pléiade NRF p 402
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Voici une série d’encres réalisées cet automne inspirées du livre « histoire d’une montagne » du géographe et anarchiste Elisée Reclus, accompagnée de deux extraits de son livre.
Encre 50 x 40 sur papier de chine marouflée sur lana 76 x 56 – 2019 Corinne Leforestier
DANS LE BROUILLARD
On se trouve comme dans un monde nouveau, à la fois redoutable et fantastique, lorsqu’on parcourt la montagne au milieu du brouillard. Même en suivant un sentier bien frayé, sur des pentes faciles, on éprouve un certain effroi à la vue des formes environnantes, dont le profil incertain tantôt semble osciller dans la brume, qui tantôt s’épaissit, tantôt devient plus claire.
DANS L’ORAGE
Les arbres, les broussailles qui croissent sur les escarpements dardent leurs rameaux à travers la brume, d’une façon menaçante; parfois même, on ne voit qu’une masse noirâtre serpentant dans l’ombre grise : c’est une branche dont le tronc reste invisible. On a le visage baigné par une fine pluie; les touffes de gazon, les bruyères, sont autant de réservoirs d’eau glacée où l’on se mouille comme à la traversée d’un lac. Les membres se raidissent; le pas devient incertain; on risque de glisser sur l’herbe ou sur le roc humide et de rouler dans le précipice. Des rumeurs terribles remontent d’en bas et semblent prédire un sort fatal; on entend la chute des pierres qui s’écroulent, des branches chargées de pluie qui grincent sur leur tronc, le sourd tonnerre de la cascade et le sinistre clapotement des eaux du lac contre ses rives. C’est avec épouvante que l’on voit la brume se charger de la sombreur du crépuscule et que l’on pense à la terrible alternative de la mort par le dérochement ou par le froid.
Elisée Reclus (1830 – 1905) – Histoire d’une montagne
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Dans le ravin : l’une des 4 gravures travaillées cet été.
aquatinte au sucre sur cuivre 40 x 30 -2019 © Corinne Leforestier
Et deux extraits de « histoire d’un ruisseau » de Elisée Reclus
LE RAVIN
En descendant le cours du ruisseau, dans lequel viennent s’unir le torrent tapageur de la montagne, le ruisselet de la caverne, l’eau paisible de la source, nous voyons à droite et à gauche vallon succéder à vallon, et chacun d’eux, différent des autres par la nature de ses terrains, par la pente, l’aspect général, la végétation, se distingue aussi par la quantité des eaux qu’il apporte au lit commun de la vallée.
Presque en face d’un petit torrent babillard qui bondit avec joie de pierre en pierre pour se mêler à la masse déjà considérable du ruisseau, s’ouvre un ravin très incliné, le plus souvent à sec.
[…]
Il serait donc facile de remonter le ravin dans toute sa longueur sans avoir à se servir de ses mains pour une seule escalade; toutefois, celui qui aime la nature de près méprise le sentier battu et se glisse avec joie dans l’étroit espace ouvert entre les berges. Dès les premiers pas, il se trouve comme séparé du monde. En arrière, un détour de la gorge lui cache le ruisseau et les prairies qu’il arrose; en avant, l’horizon est brusquement limité par une série de gradins d’où l’eau, quand il en coule, descend en cascatelles; au-dessus, les branches des arbres qui bordent le défilé se recourbent et s’entrecroisent en voûte; les bruits du dehors ne pénètrent pas dans cette sauvage vallée presque souterraine.
Elisée Reclus (1830 – 1905) – Histoire d’un ruisseau
Cette gravure peut aussi être vue horizontalement. N’est-ce pas plus facile ainsi, de sauter de rocher en rocher ou de glisser de vasque en vasque ?
Ce phénomène d’inversion de point de vue se produit souvent dans mon travail : quand l’inspiration s’enfuit, je retourne la gravure en cours et la redécouvre d’un œil neuf !
C’est pour cela aussi que je signe au dos ainsi, le regardeur peut y voyager à son gré comme bon lui semble …
J’avais gravé une série de 8 gravures inspirée du même livre du géographe Elisée Reclus « histoire d’un ruisseau » en 2013. Elles sont à retrouver dans ce diaporama ou sur mon site ici
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L’un des motifs récurrents de ses toiles est celui de la route, du chemin, du fleuve qui s’éloigne. Si, en tant qu’élément formel, il a pour fonction de structurer fermement la composition, il agit aussi comme image métaphorique de l’appropriation des lieux par le cheminement, invitant le spectateur à pénétrer plus avant dans le paysage, comme si le peintre désirait l’entraîner sur ses pas pour l’introduire dans ces lieux aimés et maintes fois parcourus.
Cette citation de Dominique Brachlianoff à propos des peintures de Sisley, pourrait souvent s’appliquer à mon travail artistique.
Le chemin, le sentier, la clue, le ravin : bref tout ce qui fait « passage » se retrouve souvent au cœur de mes œuvres. Elles sont une invitation à la balade quand le paysage s’ouvre devant soi.
Voici une peinture réalisée ce printemps où vous pourrez cheminer.
Sur l’eau – technique mixte sur toile 120 x 120 – 2019 © corinne leforestier
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Voici un autre paysage qui surgit régulièrement.
Fait de rochers, d’eau, d’air, de personnages à découvrir : ici j’en ai trouvés deux (apparus inopinément et reconnus a posteriori) : une impératrice et un maître zen. Les trouverez-vous ?
Se rencontreront-ils ?
Les transparents – technique mixte sur toile 90 x 70 – 2019 © corinne leforestier
L’inspiration d’une telle peinture réside entre Rêve et Réalité.
Réalité,
car la peinture faite en atelier reflète un paysage intérieur qui s’est cristallisé au fil des balades et des croquis dessinés presque quotidiennement.
Il y en a des centaines. Ce sont des heures passées assise dans la lande à l’ombre des pins, ou sur les rochers au bord des ruisseaux : un vrai bonheur.
C’est comme une contemplation-méditation. L’exercice consiste, tantôt à capter les grandes lignes du paysage, tantôt à comprendre par l’observation la genèse de la forme, et l’agencement des éléments les uns par rapport aux autres.
En voici quelques échantillons : des croquis des ravins de Chaudon.
Et enfin, les jours fastes, capter une « essence plus subtile » ?
Rêve,
car comme le dit Gauguin : « Un conseil, ne copiez pas trop d’après nature. L’art est une abstraction. Tirez-la de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qu’au résultat… ».
ou Klee
« L’art ne rend pas le visible, il rend visible. »
« Tout visible est un invisible élevé au rend de mystère. »
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